Une personne sous habilitation familiale peut elle faire une donation ?

Une personne sous habilitation familiale peut elle faire une donation
Droits et Aides

L'habilitation familiale, dispositif de protection relativement récent dans notre arsenal juridique, soulève de nombreuses questions patrimoniales. Parmi elles, la possibilité pour une personne protégée de réaliser des donations cristallise particulièrement l'attention des familles. Entre protection nécessaire et respect des volontés personnelles, le cadre légal impose un équilibre délicat que les proches doivent maîtriser. Face aux enjeux successoraux et fiscaux, comprendre les contours précis de ce que peut ou ne peut pas faire une personne sous habilitation familiale devient essentiel.

Comprendre l'habilitation familiale : principes fondamentaux

L'habilitation familiale constitue un mécanisme de protection juridique destiné aux personnes vulnérables ne pouvant plus exprimer leur volonté ou défendre leurs intérêts. Introduite dans le Code civil aux articles 494-1 et suivants, cette mesure vise à simplifier la gestion des affaires d'un proche en situation de vulnérabilité.

Contrairement aux régimes plus contraignants comme la tutelle[3] ou la curatelle[4], l'habilitation familiale présente l'avantage d'une plus grande souplesse administrative. Elle permet à un membre de la famille désigné d'agir au nom et pour le compte de la personne protégée sans nécessiter systématiquement l'autorisation du juge pour chaque acte.

Cette mesure peut être générale, couvrant l'ensemble des actes concernant la personne protégée, ou spéciale, limitée à certains actes précisément définis. La distinction est cruciale quand il s'agit d'envisager des actes de disposition comme une donation.

donation sous habilitation familiale

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Le cadre légal des donations sous habilitation familiale

La question des donations effectuées par une personne sous habilitation familiale s'inscrit dans un cadre juridique précis, encadré par plusieurs dispositions du Code civil.

L'autorisation judiciaire préalable : une obligation incontournable

L'article 494-6 du Code civil est formel : lorsqu'une personne est placée sous habilitation familiale, certains actes particulièrement importants nécessitent l'autorisation préalable du juge des tutelles[5]. Les donations font partie de ces actes considérés comme graves, engageant significativement le patrimoine.

Cette exigence d'autorisation judiciaire constitue une protection essentielle pour la personne vulnérable. Elle vise à prévenir tout appauvrissement inconsidéré ou toute pression qui pourrait s'exercer sur elle.

La capacité mentale : condition sine qua non

Au-delà de l'autorisation judiciaire, l'article 901 du Code civil pose une condition fondamentale : pour faire une donation valable, il faut être "sain d'esprit". Cette exigence s'applique à toute personne, qu'elle soit ou non sous un régime de protection.

Pour une personne sous habilitation familiale, cette question devient particulièrement sensible. Le juge devra apprécier si, malgré ses vulnérabilités, la personne conserve une lucidité suffisante concernant l'acte envisagé. Dans certains cas, l'évaluation médicale sera déterminante.

L'intervention cruciale du juge des tutelles[5]

Le juge des tutelles[5] occupe une position centrale dans le processus d'autorisation d'une donation sous habilitation familiale. Son rôle dépasse la simple validation administrative pour s'inscrire dans une véritable démarche d'évaluation globale.

Les critères d'évaluation judiciaire

Face à une demande d'autorisation de donation, le juge procède à une analyse approfondie qui s'articule autour de plusieurs axes :

  • L'évaluation des circonstances entourant le projet de donation
  • La vérification de la conformité de la donation aux intérêts patrimoniaux du majeur protégé
  • L'analyse de l'impact de la donation sur le niveau de vie futur de la personne protégée
  • L'examen des motivations réelles de la donation envisagée

Le juge cherche avant tout à déterminer si la donation correspond à ce que la personne protégée aurait vraisemblablement souhaité faire si elle avait conservé ses pleines capacités. Cette recherche de la "volonté présumée" constitue un pilier essentiel de l'évaluation judiciaire.

La préservation des intérêts du majeur protégé

Au-delà de la volonté présumée, le juge doit s'assurer que la donation ne met pas en péril les intérêts personnels et patrimoniaux de la personne protégée. Cette analyse implique notamment de vérifier que :

  • La donation ne compromet pas la capacité de la personne à maintenir son niveau de vie actuel
  • Les ressources restantes seront suffisantes pour faire face aux besoins futurs, notamment en matière de santé
  • L'acte ne crée pas de déséquilibre injustifié entre les différents héritiers potentiels

Cette double exigence - conformité à la volonté présumée et préservation des intérêts - constitue le fondement de l'intervention judiciaire en matière de donation sous habilitation familiale.

Évolutions jurisprudentielles déterminantes

La jurisprudence récente a considérablement clarifié les conditions dans lesquelles une donation peut être autorisée pour une personne sous habilitation familiale.

L'avis décisif de la Cour de cassation

L'avis rendu par la Cour de cassation le 15 décembre 2021 a marqué un tournant significatif dans l'approche juridique des donations sous protection judiciaire. La Haute juridiction a précisé que l'autorisation d'une donation repose sur deux conditions cumulatives :

  1. La donation doit correspondre à la volonté présumée de la personne protégée
  2. Elle doit être compatible avec ses intérêts patrimoniaux et personnels

Cette position jurisprudentielle confirme l'importance d'une approche individualisée, tenant compte à la fois du respect de l'autonomie de la personne (à travers sa volonté présumée) et de sa protection effective (à travers la préservation de ses intérêts).

Une jurisprudence en constante évolution

Depuis cet avis fondateur, plusieurs décisions de justice ont affiné l'interprétation des conditions d'autorisation des donations. Les tribunaux tendent à adopter une approche pragmatique, prenant en compte :

  • L'historique des libéralités antérieures à la mise sous protection
  • Les relations familiales préexistantes
  • Les habitudes de générosité de la personne avant sa mise sous protection

autorisation de la donation sous autorisation familiale

Cette évolution jurisprudentielle témoigne d'une recherche d'équilibre entre protection juridique et respect de l'autonomie personnelle, même en situation de vulnérabilité.

Limites et restrictions spécifiques aux donations

Le régime des donations sous habilitation familiale comporte des restrictions importantes, destinées à prévenir les conflits d'intérêts et à protéger la personne vulnérable.

L'interdiction des donations au profit de la personne habilitée

Une règle fondamentale interdit, en principe, les donations au bénéfice de la personne chargée de l'habilitation familiale elle-même. Cette restriction vise à éviter toute situation où la personne habilitée pourrait influencer la personne protégée à son profit.

Des exceptions peuvent néanmoins être envisagées, notamment dans le cadre familial, mais elles nécessitent une autorisation spécifique et particulièrement motivée du juge des tutelles[5]. Celui-ci exercera alors un contrôle renforcé sur l'opportunité et les conditions de la donation.

Les professionnels concernés par des restrictions spécifiques

Au-delà de la personne habilitée, d'autres catégories de personnes font l'objet de restrictions particulières en matière de donations. Les articles 909 et 913 du Code civil établissent notamment des interdictions concernant :

  • Les professionnels de santé ayant traité la personne protégée pendant sa maladie
  • Les mandataires judiciaires à la protection des majeurs
  • Les établissements d'hébergement dans lesquels réside la personne protégée

Ces dispositions visent à prévenir toute forme d'abus d'influence ou de position dominante à l'égard des personnes vulnérables.

Le rôle essentiel du notaire dans la sécurisation des donations

Dans le processus de donation impliquant une personne sous habilitation familiale, l'intervention du notaire constitue une garantie fondamentale de sécurité juridique.

L'exigence d'un acte authentique

Conformément à l'article 931 du Code civil, toute donation entre vifs doit être réalisée par acte notarié. Cette formalité, obligatoire pour toute donation (à l'exception des dons manuels), revêt une importance particulière dans le contexte d'une habilitation familiale.

Le notaire intervient comme un garant supplémentaire de la régularité de l'opération. Il vérifie notamment :

  • L'existence de l'autorisation judiciaire préalable
  • La conformité de la donation aux termes précis de cette autorisation
  • L'identité et la qualité des parties à l'acte
  • La valeur et la nature exactes des biens donnés

Le devoir de conseil et de vigilance du notaire

Au-delà de son rôle formel d'authentification, le notaire exerce une mission de conseil essentielle. Face à une situation impliquant une personne vulnérable, cette mission s'enrichit d'un devoir de vigilance renforcé.

Le notaire doit notamment :

  • S'assurer de la bonne compréhension des enjeux par toutes les parties
  • Vérifier l'absence de pression ou d'influence indue
  • Alerter sur les conséquences fiscales et successorales de la donation
  • Proposer, le cas échéant, des modalités adaptées pour sécuriser l'opération

Cette intervention notariale constitue ainsi un maillon essentiel du dispositif de protection entourant les donations réalisées sous habilitation familiale.

Considérations pratiques pour les familles

Pour les familles confrontées à la question des donations sous habilitation familiale, plusieurs considérations pratiques méritent attention.

L'anticipation : clé d'une démarche sereine

La préparation d'une demande d'autorisation de donation requiert une anticipation importante. Il est recommandé de :

  • Rassembler les éléments attestant des habitudes de générosité antérieures de la personne protégée
  • Documenter précisément la situation patrimoniale complète (actif et passif)
  • Évaluer l'impact financier à long terme de la donation envisagée
  • Préparer une argumentation solide sur l'adéquation entre la donation et les intérêts de la personne

Cette préparation minutieuse augmente significativement les chances d'obtenir l'autorisation judiciaire nécessaire.

L'équilibre entre protection et respect des volontés

La recherche d'équilibre entre protection juridique et respect des souhaits présumés de la personne vulnérable constitue un défi éthique majeur. Pour y répondre, plusieurs approches peuvent être envisagées :

  • Privilégier des donations avec réserve d'usufruit, préservant ainsi les revenus de la personne protégée
  • Envisager des donations graduelles ou résiduelles, permettant de planifier la transmission sur plusieurs générations
  • Recourir à des donations-partages, favorisant une répartition équilibrée entre les différents héritiers

Ces modalités techniques permettent souvent de concilier la volonté de transmission et la nécessaire protection patrimoniale.

L'encadrement juridique des donations sous habilitation familiale illustre parfaitement la tension permanente entre protection des personnes vulnérables et respect de leur autonomie. Si les donations restent possibles, elles sont soumises à un contrôle judiciaire rigoureux qui exige la démonstration d'une double conformité : à la volonté présumée de la personne et à ses intérêts patrimoniaux. Cette approche équilibrée, renforcée par les évolutions jurisprudentielles récentes, offre un cadre sécurisant qui, loin d'interdire systématiquement les libéralités, les conditionne à une évaluation individualisée et protectrice. Pour les familles concernées, la clé réside dans une préparation minutieuse et dans l'accompagnement par des professionnels du droit sensibilisés aux enjeux spécifiques de la vulnérabilité.

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