Près de 11 millions de Français accompagnent aujourd'hui un proche en situation de dépendance[1] ou de handicap. Parmi eux, un nombre significatif porte eux-mêmes le fardeau d'un handicap. Cette double réalité reste souvent invisible dans notre société, pourtant elle soulève des questions essentielles. Comment peut-on prendre soin d'autrui quand on a soi-même besoin d'assistance ? Quels dispositifs existent pour soutenir ces aidants en situation particulière ? Entre solidarité familiale et reconnaissance légale, les personnes handicapées peuvent-elles pleinement assumer ce rôle d'aidant ?
Être aidant quand on est soi-même handicapé : un statut accessible à tous
Un aidant familial désigne toute personne qui vient en aide, de manière régulière et non professionnelle, à un proche dépendant pour les activités de la vie quotidienne. Cette aide peut prendre diverses formes : soins, accompagnement à l'éducation, démarches administratives, soutien psychologique, ou encore activités domestiques.
Une reconnaissance légale depuis 2015
La loi française reconnaît officiellement ce statut depuis 2015, avec la création du terme "proche aidant" dans la loi relative à l'adaptation de la société au vieillissement. Cette reconnaissance juridique a permis de développer progressivement des droits spécifiques pour ces personnes dont l'engagement est crucial pour notre système de santé.

Les personnes handicapées peuvent-elles être aidantes ?
Mais qu'en est-il des personnes handicapées souhaitant devenir aidantes ? Aucune disposition légale n'interdit à une personne en situation de handicap d'être aidante. Au contraire, la loi reconnaît implicitement cette possibilité en n'excluant aucune catégorie de personnes de ce statut. Le critère déterminant reste la capacité effective à apporter l'aide nécessaire, indépendamment de sa propre situation.
Les aides financières accessibles aux aidants
L'Allocation Journalière du Proche Aidant (AJPA)
L'AJPA constitue l'une des principales aides financières destinées aux aidants. Mise en place en 2020, elle permet de compenser partiellement la perte de revenus liée à une réduction ou cessation d'activité professionnelle pour s'occuper d'un proche.
Pour y prétendre, plusieurs conditions doivent être réunies :
- Résider et travailler en France
- Accompagner un proche présentant un handicap ou une perte d'autonomie d'une particulière gravité
- Réduire ou cesser son activité professionnelle pour ce faire
En 2025, le montant de cette allocation s'élève à environ 60 euros par jour pour une personne seule et 30 euros pour une personne en couple. Elle peut être versée pour un maximum de 66 jours sur l'ensemble de la carrière professionnelle, avec la possibilité de les fractionner.
Les personnes handicapées aidantes peuvent tout à fait bénéficier de cette allocation si elles remplissent les critères, leur propre handicap n'étant pas un facteur d'exclusion.
Autres dispositifs financiers
D'autres mécanismes de soutien financier existent pour les aidants :
- La Prestation de Compensation du Handicap (PCH) : elle peut inclure un volet "aide humaine" permettant de dédommager un aidant familial
- L'Allocation Personnalisée d'Autonomie (APA) : destinée aux personnes âgées, elle peut financer partiellement l'intervention d'un proche aidant
- Le dédommagement direct : la personne aidée peut utiliser certaines prestations pour dédommager son aidant
Sur le plan fiscal, les aidants peuvent bénéficier d'avantages comme la déduction fiscale pour l'accueil d'une personne handicapée sous son toit ou la majoration du nombre de parts fiscales dans certaines situations.
Concernant la retraite, un dispositif d'affiliation gratuite à l'assurance vieillesse permet aux aidants de valider des trimestres pendant les périodes d'aide, évitant ainsi une pénalisation de leur future pension.
Droits et congés spécifiques pour les aidants
Le cadre légal français prévoit plusieurs types de congés adaptés aux différentes situations d'aidance :
- Le congé de proche aidant : d'une durée maximale de trois mois renouvelables (dans la limite d'un an sur l'ensemble de la carrière), il permet de s'absenter pour s'occuper d'un proche handicapé ou en perte d'autonomie
- Le congé de solidarité familiale : destiné à l'accompagnement d'un proche en fin de vie[4], il peut durer jusqu'à trois mois, renouvelable une fois
- Le congé de présence parentale : accordé aux parents d'un enfant gravement malade, accidenté ou handicapé, il offre un crédit de 310 jours d'absence sur trois ans
Le droit au répit, instauré par la loi d'adaptation de la société au vieillissement, permet aux aidants de bénéficier de solutions temporaires pour se ressourcer : accueil de jour, hébergement temporaire ou aide à domicile[5] renforcée pour la personne aidée.
Ces dispositifs sont accessibles aux aidants en situation de handicap, qui peuvent ainsi concilier leur propre suivi médical avec leur rôle d'accompagnant. Toutefois, l'impact sur la vie professionnelle et personnelle reste significatif, avec des risques d'isolement social et de difficultés financières accrus.
Se former et s'informer : ressources essentielles
Pour assumer pleinement leur rôle, les aidants peuvent accéder à différentes formations, particulièrement précieuses pour ceux qui sont eux-mêmes en situation de handicap :
- Formations aux gestes de premiers secours adaptées
- Apprentissage des techniques de manipulation et de transfert
- Formation à la gestion administrative et aux droits sociaux
- Accompagnement psychologique et groupes de parole

De nombreuses associations jouent un rôle déterminant dans ce domaine. Des organisations comme l'Association Française des Aidants, la Compagnie des Aidants, ou encore les associations spécifiques à certains handicaps proposent des ressources précieuses : documentation, formations, permanences téléphoniques et groupes d'entraide.
Les plateformes d'accompagnement et de répit, généralement rattachées à des établissements médico-sociaux, offrent information, formation et solutions de répit adaptées aux besoins spécifiques des aidants handicapés.
L'importance de la formation continue ne doit pas être sous-estimée, car les besoins des personnes aidées évoluent, tout comme les dispositifs d'aide et les techniques d'accompagnement.
LIRE AUSSI : 10 ressources offertes par les CCAS aux personnes âgées et à leurs aidants[6]
Faire face aux défis spécifiques des aidants handicapés
La charge mentale et physique qui pèse sur les aidants est considérable. Pour les personnes déjà en situation de handicap, ces difficultés peuvent être amplifiées :
- Fatigue chronique et risques d'aggravation de leur propre état de santé
- Difficultés logistiques pour concilier leurs propres soins et l'accompagnement de l'aidé
- Sentiment d'isolement renforcé par la double stigmatisation
- Complexité administrative accrue pour gérer leurs propres droits et ceux de la personne aidée
Plusieurs solutions peuvent néanmoins être mises en place pour prévenir l'épuisement :
- Partage des responsabilités au sein d'un réseau familial et amical élargi
- Recours à des professionnels complémentaires pour certaines tâches spécifiques
- Utilisation des services de répit : accueil temporaire, relayage à domicile
- Participation à des groupes de parole et d'entraide entre aidants
- Adaptation du logement et des équipements pour faciliter le quotidien
L'inclusion et la reconnaissance des aidants handicapés passent par une meilleure sensibilisation des professionnels de santé et des services sociaux à cette double réalité. Trop souvent, ces personnes sont uniquement perçues à travers le prisme de leur handicap, sans que soit reconnu leur engagement auprès d'un proche.
Des témoignages qui éclairent cette réalité complexe
Les parcours d'aidants en situation de handicap sont aussi divers que touchants. Certains accompagnent un enfant malade tout en gérant leur propre handicap moteur. D'autres, atteints de maladies chroniques, prennent soin d'un parent vieillissant. Ces situations, bien que complexes, démontrent une extraordinaire capacité d'adaptation.
Comme le souligne souvent Marie, malvoyante et aidante de son mari atteint de la maladie d'Alzheimer[7] : "Mon handicap m'a appris la patience et l'organisation. Ces compétences me sont précieuses aujourd'hui pour accompagner mon mari. Nous nous entraidons mutuellement, chacun compensant les limitations de l'autre."
Ces témoignages révèlent que le handicap peut parfois favoriser une compréhension plus profonde des besoins de la personne aidée, créant une relation d'aide empreinte d'empathie et de respect mutuel.
Vers une meilleure reconnaissance sociale
Les aidants handicapés contribuent de façon significative à notre système de solidarité, mais restent insuffisamment reconnus et soutenus. Plusieurs pistes d'amélioration se dessinent pour l'avenir :
- Développement de formations spécifiquement adaptées aux aidants en situation de handicap
- Création de services de répit prenant en compte les besoins particuliers de ces aidants
- Simplification administrative pour faciliter l'accès aux droits
- Valorisation des compétences acquises dans le parcours d'aidant, notamment pour la réinsertion professionnelle
- Renforcement du soutien psychologique pour prévenir l'épuisement
Le développement de solutions technologiques adaptées (domotique, télésurveillance, applications de coordination) représente un levier prometteur pour faciliter le quotidien des aidants handicapés.
Être aidant tout en vivant avec un handicap est non seulement possible, mais représente une réalité quotidienne pour de nombreuses personnes en France. Grâce aux dispositifs de soutien existants et à une reconnaissance progressive de cette double réalité, ces aidants particuliers peuvent assumer leur rôle essentiel, tout en préservant leur propre santé et qualité de vie. L'enjeu pour notre société reste désormais d'adapter davantage les politiques publiques à cette situation spécifique, reconnaissant pleinement la contribution exceptionnelle de ces personnes qui, malgré leurs propres limitations, choisissent d'accompagner leurs proches dans la vulnérabilité.
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