Dans le paysage médical international, Leqembi s'est imposé en quelques mois comme un nom qui suscite autant de promesses que de polémiques. Cette immunothérapie développée par Biogen et Eisai, saluée outre-Atlantique, cristallise aujourd'hui en France les tensions entre attentes sociétales, prudence scientifique et contraintes économiques. Sur le papier, ce traitement cible précisément la maladie d'Alzheimer là où elle frappe : les plaques amyloïdes qui s'accumulent dans le cerveau, provoquant la dégradation inexorable des fonctions cognitives.
Pourtant, l'enthousiasme américain ne convainc pas la France. En septembre 2025, la Haute Autorité de santé (HAS) a tranché : refus d'accès précoce, pas de remboursement immédiat, au grand dam des familles, des associations et d'une partie du corps médical. Derrière cette décision, une équation complexe où la science, l'éthique et la gestion du risque se mêlent sans se confondre. Dans cet article, nous vous expliquons les raisons de cette décision, son impact sur les patients et ce que cela signifie pour l’accès aux traitements innovants contre Alzheimer.
Leqembi, l'espoir modeste d'une nouvelle ère
Leqembi (nom générique : lécanémab) fait partie d'une nouvelle génération de traitements, aux côtés du Kisunla (donanémab d'Eli Lilly), qui misent sur la réduction de l'amyloïde pour ralentir la progression de la maladie d'Alzheimer à ses stades précoces. L'idée semble simple : éliminer les dépôts toxiques, préserver le cerveau. Les essais montrent une réduction relative du déclin d’environ 25 - 30 % sur 18 mois, ce qui se traduit, selon les méthodes de calcul, par quelques mois de bénéfice fonctionnel, un gain modeste mais potentiellement significatif pour certaines familles.
Pour certains spécialistes, ce répit, même bref, a un poids inestimable : pouvoir échanger encore quelques mots, partager un souvenir, retarder l'entrée dans la dépendance. Ces bénéfices, soulignés par des neurologues comme Bruno Dubois (AP-HP), résonnent fort auprès des proches. Mais d'autres voix, moins enthousiastes, mettent en garde : l'effet demeure modeste, souvent indétectable au quotidien, et la stratégie anti-amyloïde n'a jamais tenu la promesse d'une avancée décisive.

Des effets secondaires qui inquiètent
Les miracles n’existent pas : chaque avancée thérapeutique a son revers. Avec Leqembi, la toxicité n'est pas négligeable. Hémorragies cérébrales, œdèmes dangereux : jusqu'à 2 % des patients développent des complications sévères, parfois asymptomatiques, parfois mortelles. Le risque est encore plus marqué chez les personnes porteuses de deux copies du gène APOE4. Pour ces profils, le médicament est d'ailleurs déconseillé.
Une vigilance médicale s'impose : IRM régulières, suivi rapproché, exclusion de certains malades. Un protocole lourd, loin d'une "pilule miracle", qui exige des ressources humaines et logistiques. Les autorités françaises, qui scrutent chaque donnée, voient dans cette balance bénéfices / risques un point de rupture. Pierre Cochat, président de la commission de la transparence à la HAS, insiste : "L'accès précoce n'a pas été retenu, car les bénéfices restent très insuffisants au regard d'effets secondaires qui ne sont pas faibles du tout."
La France, un choix à contre-courant ?
Le contraste est saisissant : États-Unis, Allemagne, Autriche, Japon… Leqembi est déjà accessible, parfois avec des restrictions, parfois sans remboursement. Aux États-Unis, le traitement coûte plusieurs dizaines de milliers de dollars par an. L'Agence européenne du médicament (EMA) a donné son feu vert en 2025, mais avec des réserves strictes : seuls les patients moins à risque d'effets graves y ont droit.
En France, le dispositif d'accès précoce aurait pu permettre à certains malades, en impasse thérapeutique, de bénéficier du traitement. Mais la HAS a jugé le dossier trop fragile. "La maladie est grave, aucun traitement curatif n'existe, mais l'efficacité du Leqembi ne justifie pas de passe-droit", argue l'institution. En toile de fond, la question du coût pèse : dans un système solidaire, le remboursement d'une thérapie onéreuse aux résultats discutables fait débat.
Des patients en quête de solutions
L'attente était immense. Un sondage mené par la Fondation Vaincre Alzheimer le montre : près de la moitié des personnes interrogées accepteraient le traitement, et, avec les hésitants, ce chiffre grimpe à 73 %. Chez les patients ayant reçu Leqembi dans le cadre d'essais cliniques, plus de la moitié disent avoir vu leurs symptômes se stabiliser.
Ce refus froid, tombé comme un couperet au début septembre, laisse un sentiment d'abandon. Depuis 2018, la France ne rembourse plus aucun médicament spécifique contre Alzheimer : seuls les traitements symptomatiques, peu efficaces, restent disponibles. Les associations de familles dénoncent une occasion manquée d'améliorer la qualité de vie, même au prix d'un risque. Pour elles, "gagner quelques mois de lucidité" compte plus que les statistiques.
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Un débat scientifique et éthique sans issue claire
Le clivage traverse aussi la communauté médicale. Certains chercheurs militent pour une rupture avec la stratégie anti-amyloïde, jugée trop exclusive et peu productive. D'autres plaident pour poursuivre, faute d'alternative crédible à court terme. Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) avait d'ailleurs validé Leqembi sur la base d'une efficacité modeste mais tangible, pariant sur l'innovation incrémentale.
En France, la HAS campe sur une position plus conservatrice. L'institution doit encore statuer, dans les prochains mois, sur une procédure de remboursement classique. Mais le ton est donné : "On ne peut pas s'attendre à une évaluation mirobolante", prévient-on en interne. Ce choix, qui peut sembler frileux, s'inscrit aussi dans une histoire : la France a déjà essuyé des polémiques sur des médicaments précipités, dont les effets délétères n'avaient pas été anticipés.
Recherche et innovation sous tension
Le refus du Leqembi intervient alors que la France vient de lancer une nouvelle stratégie nationale pour les maladies neurodégénératives : soutien aux aidants, renforcement de la recherche, promotion de l'innovation. Pourtant, ce signal négatif risque de refroidir les industriels et de détourner les essais cliniques vers d'autres pays plus ouverts. Les associations s'inquiètent d'un décrochage français, alors que la compétition internationale s'intensifie.
Dans le même temps, d'autres pistes émergent : prévention, prise en charge non médicamenteuse, recherche sur de nouveaux biomarqueurs. Le Leqembi ne ferme pas la porte aux progrès futurs, mais pose la question : jusqu'où accepter le risque pour un bénéfice incertain ?

Questions fréquentes sur Leqembi et la maladie d'Alzheimer
Leqembi est-il autorisé en France ?
Non, il n'est pas disponible en accès précoce ni remboursé. La HAS attend encore de statuer sur une procédure classique.
Quels patients pourraient en bénéficier ?
Principalement ceux au stade précoce de la maladie, sans facteur de risque génétique majeur (APOE4), et sous surveillance médicale étroite.
Quels sont les principaux risques ?
Œdèmes et hémorragies cérébrales, parfois graves. Un suivi par IRM est systématique.
Existe-t-il d'autres nouveaux traitements ?
Le Kisunla (donanémab) suit une approche similaire. D'autres pistes sont à l'étude, mais aucune révolution n'est attendue à court terme.
Comment contacter les associations ?
Pour un accompagnement ou des informations, Vaincre Alzheimer et France Alzheimer restent mobilisés.
Un choix qui divise, un avenir ouvert
L'histoire du Leqembi en France n'est pas close. La porte d'un remboursement reste entrouverte, même si la prudence prévaut. Entre espoirs des familles, attentes du corps médical et exigences de sécurité, la décision de la HAS rappelle que la médecine des maladies neurodégénératives se construit sur des compromis fragiles. Les regards, désormais, se tournent vers les chercheurs et les pouvoirs publics. La quête d'une thérapie vraiment efficace contre Alzheimer continue. Personne ne veut lâcher le fil de l'espoir, même ténu.






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