Dans les couloirs feutrés des services de neurologie, la rumeur a vite circulé. Leqembi. Un nom presque familier, désormais, pour les familles concernées par la maladie d’Alzheimer. Pour beaucoup, il s’est imposé comme un symbole : celui d’un espoir enfin tangible, après des années à voir les essais cliniques échouer les uns après les autres.
Développé par Biogen et Eisai, ce traitement cible la formation de plaques amyloïdes dans le cerveau, l’une des pistes les plus étudiées contre la maladie. Son cousin, le Kisunla (donanémab, laboratoire Eli Lilly), mise sur la même approche. Les deux molécules ont montré un effet : ralentir légèrement la dégradation cognitive, mais uniquement au tout début du processus. Cet article vous aide à comprendre ce que ces traitements changent réellement et pourquoi leur accès reste aujourd’hui limité en France.
La France dit non au remboursement précoce
Le 9 septembre 2025, la Haute Autorité de santé (HAS) a tranché. Pas d’« accès précoce » pour Leqembi. Autrement dit, pas de prise en charge immédiate par la Sécurité sociale, même pour les patients sans alternative. Motif ? « Des bénéfices très insuffisants par rapport à ce qu’on attendait » et « des effets secondaires qui ne sont pas faibles du tout », a sobrement résumé Pierre Cochat, président de la commission de la transparence de la HAS.
Ce dispositif d’accès précoce, réservé à certains traitements innovants, aurait permis un remboursement rapide, à un prix fixé par le fabricant. La HAS a jugé que la balance bénéfices/risques ne justifiait pas une telle dérogation.

Des résultats cliniques qui divisent
La force du Leqembi, selon ses promoteurs : il permettrait de gagner quelques mois de vie « en plus ». Quelques mois où l’on peut encore échanger avec ses proches, suivre une conversation, aller au théâtre. L’image parle à tous ceux qui, de près ou de loin, ont vu Alzheimer effacer les souvenirs. Mais la réalité clinique reste plus nuancée.
- Dans les essais, le ralentissement du déclin cognitif observé reste modeste. Statistiquement significatif, oui. Cliniquement marquant ? Le débat reste entier.
- Les effets secondaires, eux, inquiètent : hémorragies cérébrales, œdèmes, parfois mortels. L’Agence européenne du médicament, prudente, a limité l’usage du Leqembi aux patients les moins exposés à ces risques.
Le neurologue Bruno Dubois (Pitié-Salpêtrière) n’a pas caché sa déception : « Quelques mois de lucidité gagnés, cela compte ». À l’opposé, Rob Howard, psychiatre à l’University College de Londres, salue la prudence française : « Ces traitements ne modifient pas réellement la maladie ».
LIRE AUSSI : EHPAD: comprendre l’accompagnement dans la thérapie d’Alzheimer
Un coût qui fait débat
Un autre chiffre s’invite dans la discussion : le prix. Aux États-Unis, la facture annuelle dépasse les dizaines de milliers de dollars. Un coût difficilement tenable pour des systèmes de santé, surtout au regard des bénéfices jugés limités.
Le Royaume-Uni a choisi de ne pas rembourser, malgré l’autorisation de mise sur le marché. En France, la HAS prévient déjà : « On ne peut pas s’attendre à une évaluation mirobolante » lors du prochain passage en commission pour un éventuel remboursement classique. L’autorisation officielle attendue au printemps 2025 dans l’Union européenne ne garantit rien côté prise en charge financière.
Entre espoir et désillusion
Les associations de patients, elles, oscillent entre frustration et combativité. Pour beaucoup, Leqembi incarne la première avancée concrète depuis des décennies. Après tant d’années à voir la recherche piétiner, difficile de ne pas saisir la moindre lueur. Mais la controverse persiste : progrès réel ou mirage coûteux ?
En toile de fond, une critique s’amplifie : la recherche s’est obstinée trop longtemps sur la piste amyloïde, sans jamais parvenir à renverser franchement le cours d’Alzheimer. L’urgence de diversifier les stratégies, de financer d’autres approches, s’impose dans le débat public.

Où en est-on ailleurs ?
| Pays | Statut réglementaire | Remboursement |
|---|---|---|
| États-Unis | Approbation FDA | Remboursé selon les contrats d’assurance |
| Union européenne | Approbation avec restrictions (printemps 2025) | À la discrétion des États membres |
| Japon | Commercialisation effective | Remboursement partiel |
| Royaume-Uni | Autorisé | Non remboursé |
| Suisse | Évaluation en cours | Non applicable |
FAQ : section pratique
Pourquoi la France bloque-t-elle le remboursement ?
La HAS estime que le gain apporté par Leqembi ne compense pas le risque d’effets secondaires graves. Pour elle, le service médical rendu ne justifie pas une prise en charge accélérée ni un coût aussi élevé.
Leqembi sera-t-il un jour remboursé en France ?
La porte reste entrouverte. Le médicament passera par la procédure classique d’évaluation dans les prochains mois. Mais les attentes de la HAS sont basses. Tout dépendra de données nouvelles… ou d’une évolution du rapport bénéfice/risque.
Existe-t-il des alternatives ?
Rien de révolutionnaire à ce jour. Les traitements symptomatiques restent la norme[2] : anticholinestérasiques, mémantine. Des pistes émergent, hors amyloïde : régime Mind, biomarqueurs sanguins, stimulation cognitive. Mais aucune solution miracle pour l’instant.
Combien coûte le traitement ?
Leqembi s’affiche à plus de 26 000 dollars par an aux États-Unis. En France, sans remboursement, la somme reste hors de portée pour la plupart des familles.
Sur le terrain, la maladie d’Alzheimer continue de bouleverser la vie de dizaines de millions de personnes. Chaque mois gagné, chaque souvenir préservé a une valeur incalculable pour les familles. Face à la pression sociale, la prudence des autorités sanitaires s’entrechoque avec l’impatience des patients. Le débat sur Leqembi révèle l’impasse actuelle : une avancée scientifique indéniable, mais un bouleversement clinique qui tarde à se matérialiser. Entre promesse et prudence, le combat contre Alzheimer cherche encore sa révolution.






Laissez un commentaire