Les repas représentent bien plus qu'une simple nécessité nutritionnelle dans les maisons de retraite. Véritables moments de convivialité, ils rythment les journées des résidents et constituent souvent l'un des plaisirs essentiels de leur quotidien. Derrière chaque assiette servie se cache un travail minutieux d'équilibrage entre contraintes médicales, préférences personnelles et réalités budgétaires. La question des menus en EHPAD[1] révèle toute la complexité d'un écosystème où l'alimentation devient un enjeu majeur de bien-être et de dignité pour nos aînés.
L'alimentation en maison de retraite : un équilibre subtil entre santé et plaisir
Dans l'univers des établissements pour personnes âgées, l'alimentation occupe une place centrale. Elle représente non seulement un besoin physiologique fondamental mais aussi un vecteur essentiel de satisfaction et de qualité de vie. Pour les résidents, les repas constituent souvent les moments forts de la journée, occasions de socialisation et de plaisir gustatif.
La restauration en EHPAD[1] poursuit un double objectif : répondre aux besoins nutritionnels spécifiques des personnes âgées tout en préservant le plaisir de manger. Cette mission n'est pas anodine quand on sait que la dénutrition[3] touche entre 15 et 38% des résidents en institution, avec des conséquences graves sur leur santé et leur autonomie.

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Les facteurs déterminants dans la conception des menus
L'impératif nutritionnel face au risque de dénutrition[3]
La composition des menus en maison de retraite obéit d'abord à des impératifs nutritionnels stricts. Les personnes âgées présentent des besoins spécifiques, notamment en protéines, pour maintenir leur masse musculaire et prévenir la sarcopénie. Un apport suffisant en calcium et en vitamine D s'avère crucial pour préserver la santé osseuse.
Les recommandations actuelles privilégient :
- Une présence quotidienne de produits laitiers (3 à 4 portions)
- Des protéines de qualité à chaque repas principal
- Un apport suffisant en acides gras essentiels
- Une hydratation régulière tout au long de la journée
Fait notable, les établissements tendent aujourd'hui à abandonner les régimes restrictifs (sans sel, hypocholestérolémiant) qui, s'ils peuvent sembler pertinents d'un point de vue médical, contribuent souvent à diminuer l'appétit et le plaisir de manger, accentuant paradoxalement le risque de dénutrition[3].
L'adaptation aux capacités et besoins individuels
L'hétérogénéité des résidents impose une personnalisation des menus. Selon leurs capacités de mastication, leur état de santé ou leurs pathologies spécifiques, différentes textures alimentaires sont proposées :
- Texture normale pour les personnes sans difficulté particulière
- Texture hachée pour faciliter la mastication
- Texture moulinée pour les problèmes de déglutition modérés
- Texture mixée pour les troubles sévères de la déglutition
Les soins bucco-dentaires réguliers et l'assistance à la mastication font partie intégrante de cette approche globale. Certains établissements proposent des menus adaptés aux prescriptions médicales spécifiques (diabète, insuffisance rénale) tout en cherchant à préserver au maximum la variété et le goût des plats.
Le processus d'élaboration des menus : un travail d'équipe
De la conception à la validation : les acteurs clés
La création des menus mobilise plusieurs professionnels au sein de l'établissement :
- Le chef de cuisine apporte son expertise culinaire et sa connaissance des techniques de préparation
- La diététicienne veille à l'équilibre nutritionnel et à l'adaptation aux besoins spécifiques
- Le médecin coordonnateur[4] supervise l'adéquation avec les besoins médicaux des résidents
- La direction s'assure de la faisabilité budgétaire et logistique
Une fois élaborés, les menus sont généralement soumis à une "commission des menus" qui se réunit régulièrement. Cette instance, qui inclut souvent des représentants des résidents, permet d'évaluer la satisfaction, de recueillir les suggestions et d'ajuster les propositions futures. Cette participation active des résidents constitue un levier important d'amélioration de la qualité perçue des repas.
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Saisonnalité et terroir : valoriser le patrimoine culinaire
Les menus s'inscrivent dans un cycle saisonnier qui permet de profiter des produits de saison, souvent plus savoureux et nutritifs. Cette approche favorise l'approvisionnement local et le respect des traditions culinaires régionales, particulièrement importantes pour les personnes âgées.
Les établissements s'efforcent d'intégrer :
- Les fruits et légumes de saison
- Les spécialités régionales chères aux résidents
- Les plats traditionnels qui évoquent des souvenirs gustatifs
Cette valorisation du patrimoine culinaire s'articule avec les recommandations nutritionnelles nationales du Programme National Nutrition Santé (PNNS) et les exigences réglementaires en matière de sécurité alimentaire.
L'environnement des repas : au-delà de l'assiette
Créer un cadre propice au plaisir de manger
La qualité de l'alimentation ne se limite pas au contenu de l'assiette. L'environnement dans lequel se déroulent les repas joue un rôle déterminant dans l'expérience gustative et la prise alimentaire des résidents.
Les établissements accordent une attention croissante à :
- L'aménagement des salles à manger (luminosité, acoustique, décoration)
- L'art de la table (nappes, vaisselle adaptée mais esthétique)
- La présentation des plats et le dressage soigné
- La disponibilité d'ustensiles ergonomiques facilitant l'autonomie

Des initiatives comme les carafes d'eau colorées pour encourager l'hydratation ou les sets de table contrastés pour les personnes malvoyantes illustrent cette attention aux détails qui peuvent faire toute la différence.
En savoir plus sur la nutrition et l’alimentation en USLD [5]
Personnalisation et flexibilité du service
La rigidité institutionnelle cède progressivement la place à une approche plus souple et personnalisée du service des repas :
- Possibilité de choisir sa place à table pour favoriser les affinités
- Horaires adaptés aux rythmes individuels (dans une plage définie)
- Organisation de repas partagés avec les familles lors d'occasions spéciales
- Mise en place de tables d'hôtes ou d'espaces plus intimes
Certains établissements innovants proposent même des formules de type "restaurant" où les résidents peuvent choisir entre plusieurs entrées et plats, renforçant ainsi leur sentiment d'autonomie et de contrôle sur leur alimentation.
Les défis quotidiens et les solutions innovantes
Composer avec les contraintes économiques et humaines
La réalité économique des EHPAD[1] impose des contraintes significatives sur la restauration. Le coût moyen d'un repas se situe généralement entre 4 et 7 euros par personne, incluant les denrées, la préparation et le service. Ce budget limité exige créativité et optimisation pour maintenir la qualité et la diversité des menus.
Par ailleurs, l'assistance pendant les repas constitue un autre défi majeur. Selon les établissements, entre 30 et 60% des résidents nécessitent une aide partielle ou totale pour s'alimenter. Le ratio personnel/résidents, souvent insuffisant aux heures des repas, peut compromettre la qualité de l'accompagnement et, par conséquent, la prise alimentaire effective.
Initiatives pour enrichir l'expérience culinaire
Face à ces contraintes, de nombreux établissements développent des approches innovantes :
- Organisation de repas à thème et d'événements gastronomiques saisonniers
- Mise en place d'ateliers culinaires où les résidents participent à la préparation
- Création de potagers thérapeutiques fournissant herbes aromatiques et légumes
- Collaboration avec des producteurs locaux pour des produits de qualité à coût maîtrisé
- Formation du personnel aux techniques d'aide à l'alimentation respectueuses de la dignité
Ces initiatives s'inscrivent dans une réflexion continue sur la place de l'alimentation dans le projet de vie personnalisé de chaque résident. Elles témoignent d'une volonté de dépasser la simple réponse à un besoin physiologique pour faire du repas un véritable moment de plaisir et de vie sociale.
L'évolution des pratiques alimentaires en institution :vers une approche plus holistique et personnalisée
Ces dernières années, on observe une évolution significative dans l'approche de l'alimentation en EHPAD[1]. La tendance est à une vision plus globale qui intègre :
- La dimension culturelle et identitaire de l'alimentation
- La préservation de l'autonomie comme objectif prioritaire
- L'alimentation intuitive respectant les préférences individuelles
- La convivialité comme facteur déterminant du bien-manger
Cette évolution se traduit par une plus grande flexibilité dans l'élaboration des menus et une attention accrue aux retours des résidents. La notion de "plaisir alimentaire" n'est plus considérée comme secondaire mais comme un élément central de la prise en charge nutritionnelle.
Les menus en maison de retraite résultent d'un savant équilibre entre exigences nutritionnelles et recherche du plaisir gustatif. Leur élaboration mobilise de multiples compétences et s'inscrit dans une démarche d'amélioration continue. Au-delà des contraintes réelles, budgétaires et organisationnelles, c'est bien la qualité de vie des résidents qui reste l'objectif premier. Dans un contexte où l'alimentation constitue l'un des derniers plaisirs accessibles pour certaines personnes âgées, la question des menus dépasse largement les considérations techniques pour toucher à l'essence même de ce qui fait la dignité et le bien-être en institution.
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